Comment donner naissance à un bébé au teint clair ou de la lactification hallucinatoire ?

Dans son livre « Comment donner naissance à un bébé au teint clair », l’auteur Mankaa Lizette explique comment procéder de la conception à l’accouchement pour atteindre cet objectif.

Il s’agit d’un eBook de 66 pages  à télécharger sur le net moyennant une somme d’environ 26 dollars (6500 fcfa). On vous promet que bébé aura une peau claire grâce à un régime alimentaire à base de noix de coco, avocat, orange, lait de safran, jus de citron vert … Ce régime lui a été conseillé par sa grand-mère. 

En France, comme ailleurs, de nombreuses femmes et hommes également, ont eu et parfois ont toujours, le sentiment de subir une certaine discrimination à cause de leur peau noire. De fait, les peaux les plus claires seraient considérées comme un atout. La colonisation et l’idéologie raciste véhiculée à cette époque ont figé la couleur noire comme un marqueur identitaire péjoratif. On l’associe aux populations les plus défavorisées. Cette représentation a été intériorisée par nombres de populations. Malgré la dénonciation du phénomène, le colorisme persiste. La carnation claire est toujours considérée comme un critère de beauté chez certains. La couleur noire est celle que l’histoire a le plus façonnée, triturée car la pigmentation de la peau constitue le premier caractère visible de l’altérité. 

Et tel que l’a souligné le psychiatre et écrivain Franz Fanon, le colorisme peut être considéré comme une recherche de ressemblance au colonisateur. 

Franz Fanon

« Depuis quelques années, des laboratoires ont projeté de découvrir un sérum de dénégrification ; des laboratoires, le plus sérieusement du monde, ont rincé leurs éprouvettes, réglé leurs balances et entamé des recherches qui permettront aux malheureux nègres de se blanchir, et ainsi de ne plus supporter le poids de cette malédiction corporelle. J’avais créé au-dessous du schéma corporel un schéma historico-racial. Les éléments que j’avais utilisés ne m’avaient pas été fournis par « des résidus de sensations et perceptions d’ordre surtout tactile, vestibulaire, cinesthésique et visuel », mais par l’autre, le Blanc, qui m’avait tissé de mille détails, anecdotes, récits. Je croyais avoir à construire un moi physiologique, à équilibrer l’espace, à localiser des sensations, et voici que l’on me réclamait un supplément.

« Tiens, un nègre ! » C’était un stimulus extérieur qui me chiquenaudait en passant. J’esquissai un sourire…. ».

Cette image transmise dans l’inconscient collectif sera intériorisée dès l’enfance. Elle illustre la blessure narcissique à laquelle on peut s’exposer d’être né avec la peau foncée. Le conflit entre moi et cet idéal du moi renvoie à la « malédiction corporelle » évoquée par Frantz Fanon. 

La dépigmentation de la peau est aujourd’hui une pratique courante. En effet, la depigmentation volontaire qui a connu une importante progression  dès les années 60, a été fortement décriée et condamnée, au fil des années.  Vouloir à tous prix s’approprier une identité projetée par le blanc relève du « bricolage identitaire ». L’individu qui rencontre des difficultés dans l’élaboration de son schéma corporel va peut-être tenter de changer la couleur de sa peau pour exister, ou encore défriser ses cheveux. Mais aujourd’hui, à l’heure où l’on se pose fièrement en affichant et revendiquant sa négritude, ses origines,  en arborant une peau ébène et une coiffure des plus tendances, c’est à dire, naturelle qui respecte la nature de qui nous sommes au plus profond de nous-mêmes, sans avoir à triturer nos chevelures pour ressembler à qui dejà … ? A cet autre que l’on n’est pas …. Alors, programmer la conception d’un bébé de couleur claire alors que l’on est noire serait proche du fantasme. La couleur de peau noire, foncée est empreinte de tous les maux de l’humanité. Beaucoup en ont honte. Le rapport à la norme qui considérait la beauté de la femme blanche comme référence, en conditionnant  la hiérarchisation esthétique de la beauté noire n’est plus d’actualité. Les représentations collectives évoluent et bien que certains stéréotypes persistent.  L’identité  d’un individu est la résultante d’un processus de construction continu par la relation aux autres. Et l’altérité, considérée comme reconnaissance de l’autre dans sa différence, permet de comprendre  la coexistence des identités différenciées dans un espace social. Il s’agit alors de dépasser les stéréotypes, de ne plus se centrer sur soi pour mieux comprendre les différences. L’altérité convoque  la question de l’autre mais aussi de soi, du commun, voire de l’universel. Restons tels que nous sommes plutôt que  de sombrer dans une forme d’assimilation névrotique sans fin ! 



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