De l’usage des mots : « On ne se fait pas violer. On est violé  » de Leonora Miano, lu par Christiane Taubira

Pour Télérama, l’ex-ministre de la justice a lu des textes féministes, importants à ses yeux, à nos oreilles…
« On ne se fait pas violer. On est violé. On est, on est, on est violé. On ne fait rien. On est. c’est l’autre qui fait. Le viol, c’est l’autre qui le fait. »
L’auteure de ce texte, Léonora Miano est née le 12 mars 1973 à Douala au Cameroun. C’est une femme de lettres franco-camerounaise qui s’est installée en France en 1991 pour y étudier la littérature américaine.
Elle donne la parole aux laissés pour compte, aux pauvres, aux noirs, aux femmes … A celles et ceux que la société tait volontairement, qu’elle oublie ou qu’elle cache. La violence est prégnante en France comme ailleurs : il y a celle de l’excision, du viol, du mariage forcé…
Alors la voix du féminisme s’élève aussi haut et fort , y compris, et surtout, dans l’usage des mots. On sait tous que la plupart des mots français sont polysémiques. Du champ sémantique à la connotation en passant par la dénotation, l’ usage des mots traduit nos pensées, nos actes, reflète notre société. Dans ce texte en l’occurrence, l’accent est mis sur la question du viol. On entend et on emploie bien plus souvent l’expression « se faire violer « que « être violée « . Une nuance sémantique chargée de sens, de douleur, de violence et d’agressivité.
Ce texte fort, clair comme un cri, un hurlement est lu par Christiane Taubira avec une force intense pour, qu’encore une fois, les choses soient dites et entendues.

Extrait « Écrits pour la Parole  » de Léonora Miano
ON NE SE FAIT PAS
Assez d’entendre ça Partout tout le temps C’est d’une violence insoutenable incroyable qu’on entende ça partout Tout le temps même les bouches autorisées militantes affligées compatissantes expulsent ce crachat Partout Tout le temps comme si les mots n’avaient pas de sens Comme s’il était possible d’exprimer les choses n’importe comment comme si la vérité allait de soi comme s’il n’était pas utile de l’énoncer clairement Sans équivoque dire une fois pour toutes et qu’on l’entende une fois pour toutes qu’on l’imprime une fois pour toutes Que non non On ne se fait pas violer On ne se fait pas On ne se fait pas On ne se fait pas violer on est violée on est on est on est violée on ne se fait rien on est C’est l’autre qui fait Le viol c’est l’autre qui le fait Personne jamais Ni dans la brousse ni dans les buildings ni dans les champs ni dans le métro ni dans la savane ni sous les porches ni après un premier dîner ni même chez soi Dans aucun des cas précisément parce qu’il n’en n’est pas question personne jamais ne Se fait violer…



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